Depuis le lancement de la stratégie de montée en gamme lancée en 2003 par Henri Giscard D’Estaing, l’enjeu majeur pour le Club Med est de continuer à séduire les familles, plutôt aisées, à la recherche de vacances tout compris dans un cadre luxueux et convivial. Mais la priorité est surtout d’aller à la conquête des jeunes familles de cadres ou de professions libérales, les fameux « millennials ». Pour ce faire, le Club Med s’est transformé en marque expérientielle.
Les 18-35 ans représentent environ 25 % de la population européenne et près de 40 % des actifs en France. Une génération qui a fait couler beaucoup d’encre. Car cette génération a ses experts, ses gourous, ses mentors. Elle a le droit à son lot de caricatures, de truisme, d’évidences.
— Ces jeunes qui n’ont pas connu l’après-guerre, ni l’avant-sida, ont grandi avec l’informatique à une époque où le digital s’appelait encore numérique, et le développement durable, écologie. Ils pensent que tout peut être accéléré, connecté, ubérisé, disrupté. Qu’il s’agisse de leur choix de carrière, de leurs courses en ligne ou de leurs vacances.
Les millennials aiment voyager
Or, selon un digest de toutes les études existantes sur les millennials réalisés par Coach Omnium, ils aiment voyager. Ça tombe bien !
Partisans du Yolo (you only live once), la version millennials du carpe diem, ils font en moyenne 5 voyages par an contre 3 pour le reste de la population. Et leurs dépenses touristiques ont augmenté de presque 10 % par an depuis ces cinq dernières années, contre 4 % pour la population en général.

Leur smartphone greffé à leurs mains plutôt qu’à leurs oreilles, et leur vie connectée non-stop aux réseaux sociaux, ils veulent accéder à internet à toute heure du jour ou de la nuit. Le wifi gratuit est pour eux un critère essentiel de sélection d’un hébergement.
Ils aiment la découverte et les rencontres. Ils sont également dans le « tout-tout-de-suite » et donc n’aiment pas attendre. Ils plébiscitent donc les applis ou bornes d’accueil qui permettent le check-in et le check-out rapides.
Les « millennials » montreraient également peu d’intérêt pour la publicité. Habitués à elle et pas dupes, ils savent qu’elle est tronquée et pas forcément fidèle à la réalité. Ils s’intéressent bien plus aux commentaires en ligne des autres voyageurs, véritable bouche-à-oreille électronique, dont les réseaux sociaux forment une caisse de résonance. Si aujourd’hui 46 % des clients d’hôtels français et étrangers consultent systématiquement (33 % de temps en temps) les avis en ligne pour se faire une idée sur un établissement hôtelier avant d’y réserver une chambre… ou pas, c’est 78 % des « Millennials » qui s’adonnent à cette pratique.
Née à l’ère des comparatifs, la génération Y consulte en moyenne 10,2 sources avant de procéder à la réservation d’un hébergement. Mais pas question d’accepter n’importe quoi sous prétexte que c’est à un prix abordable. Ce qui compte, c’est l’optimisation de la valeur. Plutôt que foncer dans des hôtels ou résidences aux décors standardisés et froids, les voyageurs « millennials » sont plus attirés par les établissements atypiques, au design décalé ou artistique, amusants, voire branchés jeunes et surtout authentiques.
Il faut leur donner l’occasion de publier sur Instagram des photos de cadres, de design, de paysages, de cocktails, de plats, d’insolite qui donnent envie. Pour eux, voyager doit aussi leur permettre d’exhiber une vie attirante et enviable. Quitte à truquer leurs photos. Selon une étude d’Expédia, « l’objectif des jeunes vacanciers qui postent sur Instagram ne serait pas de garder un souvenir de leur passage dans un lieu paradisiaque, mais bien de susciter envie et jalousie chez les collègues et les proches qui n’ont pas la chance de partir. 40 % des hommes et 20 % des femmes affirment même envisager de poster un jour une fausse photo de vacances… ou l’avoir déjà fait ».
Pourquoi truquer ses propres vacances ? Parce que, toujours selon la même étude, 20 % des millennials disent avoir déjà éprouvé une grande déception en découvrant leur lieu de vacances. Il faut dire que s’inspirer de photos promotionnelles hypertravaillées et faussement naturelles postées par des personnes dont c’est le job à plein temps peut fort logiquement créer quelques désillusions. D’où l’envie d’arranger à son tour la réalité.

Mais il y a une nouvelle tendance qui intéresse particulièrement les équipes marketing du Club Med. Les millennials veulent voyager entre amis mais aussi en famille. Toute la famille, les trois générations (3G) : enfants, parents, grands-parents voire… cousins ! Cette tendance au voyage multigénérationnel porte un nom : le togethering (de l’anglais together, « ensemble »). C’est l’occasion de partager un moment privilégié et de faciliter les échanges intergénérationnels. Et puis, pour les millennials, partir tous ensemble est synonyme de moment en tête à tête puisque les grands-parents se font une joie de passer l’après-midi avec leurs chères têtes blondes !
Une tendance d’autant plus intéressante qu’elle dépasse les frontières de l’Europe. « Au États-Unis, plus de cinq millions d’Américains pratiquent déjà le togethering chaque année », explique Xavier Muffraggi, le CEO de la zone Amérique du Nord du Club Med.
« Le voyage en famille est une tendance lourde chez les jeunes Asiatiques et les Chinois en particulier, notamment au moment des fêtes de la nouvelle année », explique Gino Andreetta, le patron du Club Med en Chine.
Un colossal potentiel pour le Club ! Les chiffres officiels donnent le vertige : près de 3 milliards de trajets sont effectués en l’espace de quarante jours. Avec une distance moyenne de 410 kilomètres parcourus par trajet l’an dernier, les Chinois réalisent sur cette période de quelques jours un total de 1,2 milliard de kilomètres. Pour beaucoup, c’est le seul moment de l’année où ils peuvent retrouver leurs parents et, souvent, leur enfant unique. Mais de plus en plus de Chinois en profitent aussi pour faire du tourisme, que cela soit dans leur pays ou à l’étranger. Et en famille.
Différence de taille cependant : du fait d’une répartition des richesses intergénérationnelles très différente, en Chine ce sont les millennials qui payent, alors qu’en Europe, ce sont la plupart du temps les grands-parents.

L’autre tendance forte, c’est l’expérientiel. L’époque de la consommation passive des vacances a vécu. Les clients, et plus particulièrement les jeunes, ne veulent plus « faire » un pays. Ils veulent le vivre émotionnellement.
Expériences en famille
Pour cela, il faut concevoir des expériences mémorables partagées en famille et entre amis. L’approche expérientielle doit valoriser les produits et les services qui procurent des émotions esthétiques, sportives, gustatives, humaines, sociales. Il s’agit d’inviter les clients à s’impliquer dans des activités personnelles qui résonnent avec leur quête de sens.
Les vacances doivent être conçues comme une courbe émotionnelle, de la préparation à la réservation du voyage, en passant par le séjour lui-même et les partages des souvenirs pendant et après.
En pointe sur le sujet, ce sont les équipes de Xavier Desaulles à Singapour qui sont allées le plus loin dans cette approche. « Pendant longtemps, le luxe était perçu comme un statut plus qu’une expérience », explique ce diplômé d’HEC et de l’Insead, expert de l’Asie qui a développé le groupe d’alcools premium Rémy Cointreau aux États-Unis et en Asie avant de rejoindre le Club Med.
Et le luxe, pour un Asiatique, c’est du concret : la taille d’une chambre, d’un lit, des produits de confort (gel douche, brosse à dents, savons, etc.) de grande marque. Dans cette zone du monde (hors Chine) ou la plupart des villages ont plus de vingt ans (Cherating Beach, Bali, Phuket, Kani, etc.), difficile pour le Club Med de rivaliser.
« Nos points forts au Club, c’est plutôt le « soft », l’immatériel, l’ambiance, la convivialité », ajoute Xavier. Mais avec l’arrivée au pouvoir des millennials, la perception est largement en train de changer. Et cela bouleverse la donne pour le Club Med. « 60 % des millennials dans le monde sont en Asie. Ils commencent à avoir des enfants, à fonder des familles. Ils deviennent donc notre cœur de cible. »
Bucket liste
Pour les séduire, il a donc demandé à ses équipes de mettre en musique la notion d’expériences dans chacun de ses villages afin de « réenchanter le parc actuel. On a fait un audit sur l’esprit de chaque village pour réinterpréter les codes des lieux ».
L’ambiance « into the wild » est privilégiée à Cherating Beach en Malaisie. Avec au programme des jungle treck, des accrobranches et une politique écofriendly pour mettre en avant les ressources naturelles. À Phuket, les équipes ont mis l’accent sur la découverte de la culture thaï, avec des cours de boxe thaïe, mais aussi la découverte de la région grâce à un programme d’excursions aux petits oignons, de la gastronomie et des soins à la mode thaïe. À Kani, c’est autour de l’écologie que les équipes ont travaillé. Depuis l’ouverture du 5 Tridents de Finolu, Kani est devenu un village famille avec l’ajout d’un kids club. Au menu, découverte du programme de reconstitution du corail mais aussi plongée dans les plus belles eaux du monde.
Mais le meilleur reste à venir. Dans les prochains villages, comme à la montagne en Corée du Sud où le projet Phoenix Parc devrait bientôt sortit de terre, mais aussi au Sri Lanka, à Lombok en face de Bali ou à Krabi. Sur le modèle des Bucket lists, qui dressent la liste des choses à faire absolument avant ses 30 ans, avant la retraite ou avant de mourir, c’est selon, les équipes marketing du Club Med travaillent donc à construire pour leurs clients des expériences inoubliables à vivre dans chaque village.
Ce discours marketing tranche avec la traditionnelle segmentation par destination. Il s’agit de remplacer le « J’ai fait le Japon » par : « J’ai skié la meilleure neige du monde au Japon. »
Des propositions comme « nager sur la plus belle plage du monde à Turquoise aux îles Turques-et-Caïques », « faire du paddle yoga » dans la baie de Cancún, « arpenter la muraille de Chine » au nouveau village de Great Wall, près de Pékin, « jouer au tennis avec des champions » à Marrakech ou encore « nager avec les dauphins » aux Bahamas permettent ainsi aux clients de cocher leur Bucket list.
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